Passé en cinq albums dont deux doubles du garage punk cambouis à la
cave néogothique, le trio norvégien Motorpsycho n’avait jusqu’alors qu’en de très
brèves occasions faussé compagnie à son cafard pour lever les yeux et le voile sur
ses intentions réelles. Dès l’ouverture de The Other Fool, un violoncelle
au dos rond indique pourtant que les choses ont sacrément changé depuis la
dernière visite. Monté sur pneumatique et percé à jour par d’hallucinants cuivres
de péplums, ce premier titre est déjà un tour de force qui rappelle les figures
libres accomplies récemment par Deus. En cinq minutes, Motorpsycho vient ainsi de
franchir cinq divisions et plusieurs milliers de kilomètres d’un coup pour nous
livrer une farandole de pâtisseries délicates, quelques dragées au poivre
planquées parmi les toffees et pas une seule tarte à la crème. Le bien nommé
Big surprise renferme carrément un feuilleté de voix façon Beach Boys et toute
la subtile garniture qui va avec (la basse Pet sounds , le theremin Good
vibrations) tandis que Never let you out expérimente les stupéfiantes
recettes de cake troussées par Syd Barrett et Kevin Ayers. Les chansons flambées
aux alcools rares de Motorpsycho, même si elles frôlent parfois la démesure, n’ont
rien à voir avec les attentats pâtissiers progressifs dont on annonce partout la
recrudescence. Au contraire, leur progression en labyrinthes complexes s’effectue
avec une précision de geste et une énergie sidérantes. Telle chorégraphie sonore à
l’intérieur d’un espace aussi réduit que la pop-song n’est pas monnaie courante
dans le paysage actuel, elle témoigne des ambitions célestes de quelques rares
idéalistes qui se sont donné pour folle mission de concourir aux plus hautes
sphères de ce monde. Aussi Let them eat cake est-il désormais un postulant sérieux
au prix annuel de la plus belle réalisation architecturale psychédélique. Notons
pour mémoire que les deux précédents lauréats se nommaient Mercury Rev et The
Flaming Lips.
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