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culture
Motorpsycho glisse un arc-en-ciel pop
          dans sa mécanique psychédélique

Interview with Bent on occassion of the Phanerothyme release
taken from the Swiss newspaper's website
LE TEMPS, 2001-10-06.
In French. Found at the le temps site by Thibault Schneeberger.


DISQUE. Formation essentielle de la scène rock européenne, le trio norvégien poursuit son exploration passionnante de la pop orchestrale héritée des seventies. Explications du bassiste, chanteur et maître à penser Bent Sæther.

D'une côte Ouest, l'autre. Les pieds sur la rive occidentale de sa Norvège natale, le cœur en Californie, Motorpsycho jette un arc-en-ciel de sonorités psychédéliques au-dessus du vaste océan, réconciliant la scène rock européenne avec ses racines hallucinées. Sur Phanerothyme, nouvel album du groupe nordique, les Doors, Love, Jefferson Airplane et autres glorieux fantômes de la scène West Coast s'invitent à chahuter l'implacable machinerie rock d'un trio stakhanoviste.
Répétant quatre heures par jour, six jours sur sept et publiant deux à trois disques par an, Motorpsycho s'est imposé en dix ans comme l'une des formations les plus constamment passionnantes de la scène rock européenne. Elevée aux sonorités plombées du métal et du grunge américain à ses débuts, la musique du trio trahit rapidement un besoin d'ouverture, mariant à son rock éminemment contemporain une science consommée de l'histoire du genre, quitte à flirter par endroits avec le rock progressif ou la fusion jazz des années 70.
Une propension à revisiter en toute sobriété le pouvoir d'envoûtement d'une musique élevée aux psychotropes qui trouve son accomplissement dans la production récente du trio. En deux disques somptueux dont le second paraît aujourd'hui, Motorpsycho quitte définitivement le préau du rock indépendant pour explorer avec volupté le grand large de la pop orchestrale. Citant Van Dyke Parks, Brian Wilson ou Queen dans le texte, le triumvirat devenu quatuor par l'ajout d'un arrangeur délicat marie à ses guitares brutes un concert céleste de violons, pianos, bois et harmonies vocales en apesanteur.
Acidulée en surface, la savante omelette norvégienne de Phanerothyme ne sacrifie cependant en rien à la formule musclée de Motorpsycho, groupe de rock et de scène tombé petit dans le chaudron psychédélique.

Bent Sæther, chanteur: La musique doit avoir pour fonction de transcender notre être. Si Motorpsycho peut être taxé de psychédélique, c'est avant tout dans ce sens. Faire fi de l'ego et prendre part à cette réalité supérieure de la musique, voilà ce à quoi nous sommes attentifs.

Le Temps: Vos propos comme votre musique sont-ils donc strictement nostalgiques?
Certainement pas. Je suis convaincu que l'on peut approcher cela dans une perspective tout à fait contemporaine. Toute la musique techno est basée sur cette idée de transe. Avec Motorpsycho, nous faisons la même chose, mais avec des instruments. Le besoin qu'ont les gens de s'abandonner est en recrudescence dans notre société. En Norvège, l'usage des drogues augmente de façon spectaculaire. Dans notre travail, ce n'est pas tant le côté daté que nous aimons que la dimension intemporelle et transcendantale du psychédélisme. Nous sommes conscients de ce qui se passe dans le monde musical, mais certains courants actuels ne nous parlent pas.

Faire cette pop orchestrale, est-ce une nouvelle orientation pour le groupe?
Absolument. Lorsqu'on a écrit autant de chansons rock que nous, cela devient excitant de se mettre à composer avec une nouvelle palette de sons à l'esprit. Au lieu de n'avoir que les couleurs primaires, nous avons aujourd'hui tout le spectre. Le grand défi consiste alors à faire sonner cela de manière naturelle. Tant de gens se contentent d'utiliser les violons pour rendre leur son plus doux, plus pop, plus fourni.

Cela implique-t-il une écriture différente?
Notre avant-dernier album, Trust Us (1998), était basé sur des structures simples, d'un ou deux accords répétés de manière obsessionnelle. A l'issue de cela, nous avions le sentiment que nous avions exploré suffisamment ce créneau, qu'il était temps de faire autre chose. Et nous sommes devenus obsédés par l'idée de rendre le style pop intéressant à nos yeux, dans l'esprit des grands songwriters, Burt Bacharach en tête. Ces gens ont écrit des chansons pop que l'on peut fredonner facilement, mais qui ont toujours quelque chose d'étrange et d'indéfinissable. Entrer dans ce concept de «symphonie de poche» cher aux Beach Boys, voilà le vrai défi.

Au risque de décevoir vos fans «rock»?
Quand on grandit, on aime d'autres choses, et si certains fans nous quittent, d'autres arrivent. Le principal est de parvenir à rester fidèle à ce que l'on veut et ce que l'on est à tout moment. Le plus grand danger pour un artiste est de se reposer sur ses acquis. La stagnation tue la créativité. Cela dit, nos fans les plus fervents sont restés, car ils aiment l'idée maîtresse de Motorpsycho, au-delà des changements de style.
Vous publiez plusieurs disques par an. Pourquoi cette profusion?
Oh, ce n'est pas pour vendre plus, mais simplement pour évacuer une certaine musique de notre esprit et pouvoir passer à autre chose. Ma tête est comme un disque dur, et quand j'ai une vingtaine de chansons à l'esprit, il commence à saturer. Je dois pouvoir rebooter le tout et repartir à zéro. Au fil des répétitions et tournées, les chansons s'accumulent, et comme nous n'avons pas véritablement de limitations matérielles, nous publions des disques dès que nous avons suffisamment de matière.

Motorpsycho, «Phanerothyme» (Stickman/Namskeio).

Nicolas Julliard